En vers ou en prose, les images métaphoriques sont finement dessinées, caressant ainsi les esprits des fanatiques du slam. Une forme poétique qui, un jeudi chaque mois, résiste à la cacophonie du mépris et continue sa «Renaissance».
Tous les chemins mènent à Rome. A l’entrée du grand édifice, bientôt séculaire et autrefois dédié au père des arts, deux escaliers vous offrent le choix de rejoindre le café au premier étage du côté qui bon vous semble. Les dernières marches foulées, les traits d’un paysage vintage s’esquissent de plus en plus nettement. Le vert, couleur qui évoque la nature, la force et la créativité, marque sa forte présence dans cet espace. Les plantes éparpillées à gauche et à droite se tiennent debout sur un doux parquet marron et les tables vertes, qui se jouxtent et s’adossent, sont en parfaite harmonie avec l’ambiance chaleureuse qui règne au Café La Scène.
Le jeudi tant attendu est bel et bien arrivé, les fanatiques du slam, qu’ils soient amateurs, pratiquants ou même professionnels, sont au rendez-vous avec une rencontre culturelle mensuelle dédiée aux rimes et aux rythmes, aux assonances et aux allitérations.
Quelques dizaines de minutes avant l’heure H, les slameurs, armés de leurs textes, commencent à affluer au café et à marquer leurs noms sur la liste des participants. Quant aux spectateurs, les plus exigeants seraient déjà arrivés et auraient occupé les places les plus proches de l’estrade. A ce moment-là, les organisateurs mettent la dernière main à la préparation de projecteurs et de micros.
19h sonne, que le show commence !
Premier arrivé, premier servi. Le nom qui figure en tête de la liste préétablie est appelé à monter sur l’estrade du café, large de 5 mètres et haute « comme trois pommes », mise en place au coin gauche de cet espace. Le trajet entre sa table et l’estrade lui semble difficile à parcourir, ses pas s’alourdissent et son enthousiasme est courbé sous le poids d’un trac, quasiment inévitable, qui s’accentue avec un silence de plus en plus régnant dans l’espace. Les deux marches foulées, les deux pas franchis, le premier slameur de la soirée tient le micro et l’épreuve artistique, sociale et psychique est sur le point de commencer.
Un géant miroir est placé derrière l’estrade et de l’autre côté du café, nulle personne sur scène ne pourra échapper aux yeux des spectateurs, où qu’elle regarde. Après des premiers vers délicatement déclamés, le premier artiste à performer retrouve peu à peu sa stabilité, enchaîne plus sereinement ses rimes et achève son texte sur les chaleureuses acclamations du public. Se succèdent ensuite les performances, une diversité linguistique est à souligner. Ces slameurs marocains jonglent avec les codes linguistiques, véhiculaires soient-ils ou vernaculaires, de Molière, de Shakespeare ou d’Ibn al-Muqaffa, darija ou amazigh.
Les réactions du public après chaque performance sont régies par plusieurs facteurs. Si la qualité du texte et la force de la performance déterminent la chaleur et la durée des applaudissements, le caractère ‘’popularité’’ a, lui aussi, son rôle à jouer. En fait, le Café La Scène, comme peu d’autres cafés et contrairement à la majorité, jouit d’une clientèle qui ne change point. Après quelques visites récurrentes, il serait facile d’observer que les mêmes visages y prennent place. Encore plus, et vu la dimension culturelle du café –qui connaît l’organisation de concerts de musique, de cérémonies de signature de livres ainsi que des débats de tout poils-, il s’est transformé, au fil du temps, en une source d’inspiration pour les écrivains et les poètes.
Le spectacle arrive à son terme après plus de deux heures, une trentaine de performances et des milliers de mots. Un fort potentiel est à souligner chez ces artistes en herbe qui, nous l’espérons, continueront à pousser pour qu’ils, après un moment, puissent monter sur les plus fameuses scènes du monde, rassembler les foules et contribuer au rayonnement d’un genre artistique qui, en dépit de ce que certains pensent, n’est point des moindres.